On l'entend souvent dans le cinéma américain, cette expression : "He or she is a good person". Ou "was", parce que ça pourrait servir d'épitaphe. En Français, c'est tout aussi vague : quelqu'un de bien. On en connait, des "gens bien", et une (excellente) série belge leur fait même la peau, comme si derrière pareille banalité pouvait se terrer tout ce que l'être humain peut receler de duplicité et de médiocrité, attifé d'atours flatteurs et flous. Ici, on nous propose une définition, à travers une sorte de parabole à portée quasi biblique. Jugez un peu : une jeune femme truffée de talent et de charme célèbre ses fiançailles avec l'homme presque parfait ou plus-que-parfait, suivant les points de vue, puisque appartenant à plusieurs minorités d'un coup : les Noirs et les sourds. Racisé et handicapé, c'est dire si sa promise a les idées larges... je dis ça avec un brin d'ironie, parce que qu'est-ce que ça peut bien faire que les gens soient d'une certaine couleur ou aient une audition parfaite à l'heure de choisir ses fréquentations ? Mais bon, on suppose que dans un contexte américain, ça fait de ce film un brûlot d'extrême gauche... Tout ceci pourrait n'avoir strictement aucun intérêt mais heureusement le drame survient ; comme tous les drames du quotidien, il se joue à un poutième de seconde et aurait pu être évité dans n'importe quelle autre circonstance. C'est là que le Destin frappe, avec sa majuscule et sa forte suspicion d'épreuve immanente. L'héroïne est la seule à s'en tirer et va alors se battre avec la culpabilité du survivant, parce qu'elle a causé la mort de son beau-frère et sa belle-sœur, parents d'une lycéenne dont la vie bascule également dans cet accident de voiture auquel elle n'a pas participé. Comme celle de son grand-père, désormais tuteur légal, confronté à cette forme de deuil explosive de certains adolescents qui s'emploient consciencieusement à se venger de la vie en faisant strictement n'importe quoi. Pour éviter que tout ne fasse qu'empirer, le grand-père a fort à faire. Ancien policier et alcoolique, il fait de son mieux et on sent vite que les trames parallèles des deux familles vont s'unir pour viser l'édifiant. Alors il faut se cogner l'addiction misérabiliste de la conductrice déée, à l'américaine aussi, avec cette crise des opiacées qui a causé tant de dégâts dans la société étasunienne, profitant de la vulnérabilité d'une population très exposée parce que persuadée que c'est seul qu'on doit s'en tirer : sans couverture maladie, par exemple, parce que la sécu, c'est pour les geignards et les assistés, hein... Bref, Trump et Vance ricanent en filigrane, bombant leurs torses opulents de types fourrés de thune et en bonne santé. On sent la leçon de civisme, quand même, bien qu'elle soit enrobée d'une aura de quête personnelle à la dure. Car le pépé et la nana atterrissent dans le même groupe de parole, figurez-vous. L'index de Dieu lui-même se pose bruyamment sur leur tête et là, ils n'ont plus le choix, il faut faire face. Au-dessus des politiques publiques, il y a toujours Dieu, aux États-Unis, qui choisit d'éprouver les gens pour leur donner l'occasion de déposer les armes. On sait que ça va prendre du temps mais on subodore très vite le happy end en demi-teintes qui nous attend. Franchement, n'importe quel spectateur un tantinet assidu pourrait mener cette intrigue à son terme, mais bon, on se laisse emmener par ces drames familiaux édifiants avec mollesse, contents de ne pas subir les mêmes avanies et réconfortés par la bonté céleste à l'ouvrage derrière les péripéties humaines. C'est le tarif, et on arrive à la fin en piaffant d'aise, car Dieu reconnaît les siens, il y a de l'espoir à défaut d'une justice, et on se dit qu'en attendant son propre accident terrible, on peut continuer à se la couler douce parce qu'on a le mode d'emploi de la rédemption à sortir de sa poche en cas de galère. Voilà, c'est correctement goupillé, plutôt bien joué, joliment éclairé et ça ne fera pas de concurrence déloyale aux Misérables, quoi.